Mémoire et mémoires

Livre B-C 001

Tout juste refermé, le petit livre édité par la municipalité « Au fil de la mémoire…à Barneville-Carteret », il en ressort un sentiment dual.

Si ce petit opuscule est intéressant et instructif, c’est d’abord parce qu’il est paré d’une vertu cardinale  : l’authenticité. Les témoignages sont, comme on dit, « dans leur jus » avec les mots et les constructions ordinaires des gens simples qui racontent leur vécu. On y a conservé la structure et la scansion du langage parlé, laissant çà et là des erreurs ou des impropriétés de termes (un avion en « piquet » au lieu de « en piqué », un « speedfire » au lieu d’un « spitfire« ) ; mais qu’importe, là n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est cette somme de petites histoires du quotidien dans un petit coin de terroir du bout du monde et dont les habitants étaient eux-aussi emportés dans les bouleversements d’une guerre qui les dépassait et allait faire l’Histoire. L’essentiel, le basique, c’était : manger, se vêtir, s’abriter, se chauffer, se protéger, aller aux champs, se rendre au  travail ou à l’école, se déplacer, éviter bombes et balles perdues et ce, dans un milieu bien connu mais devenu hostile soit du fait de l’occupation ou des combats de la Libération. Cet état de guerre au quotidien, loin de celui de la capitale ou des grandes villes mieux connu et rapporté, loin aussi de lieux marquants dans l’héroïsme ou l’horreur, gagne à être connu et conservé car c’était celui de nos parents, grand-parents, amis, voisins, connaissances plus lointaines qui en ont souvent peu parlé et quand ils l’ont fait, c’était avec modestie et pudeur avant que le voile de l’oubli recouvre leur mémoire.

Pourtant, ce livre laisse un petit goût d’incomplet car, sauf en de très (trop) rares endroits et à très petites touches, il ne dit rien ou presque de l’environnement global au delà des situations et sentiments personnels relatés. Aussi bien, beaucoup des questions viennent à l’esprit : A Barneville et Carteret, on était plutôt gaulliste ou maréchaliste ? Y avait-t-il des membres ou des sympathisants de la milice ? Des plus ou moins collaborateurs ? Des gens qui, en dépit de la pénurie générale vivaient plutôt dans l’opulence ? Existait-il des profiteurs, des soutiens zélés à l’occupant,  de la délation, des dénonciations, une résistance passive ponctuelle, générale ? A la Libération, y a-t-il eu des exactions, des exécutions sommaires, des « femmes tondues », des basses vengeances ? Pourquoi le conseil municipal de Carteret fut suspendu et épuré par le Comité départemental de la Libération, comme l’indique sans plus de détail le « complément historique » de fin d’ouvrage ? Et celui de Barneville ? En un mot comme en cent, notre petit coin du Cotentin fût-il comme le reste de la France ou se singularisât-il en étant plus apaisé et modéré ?

S’il est encore temps, un autre petit livre reste à écrire. En attendant, il faut absolument lire celui-là.